Le harcèlement moral contre un élu légitime et rend possible l’action en justice du syndicat pour « atteinte à l’intérêt collectif de la profession », …
JURISPRUDENCE SOCIALE :
A propos de Cass. soc. 10 juillet 2024 22-2204 ;
https://www.courdecassation.fr/deci…
° EN BREF
Le principe de l’action en justice des organisations syndicales pour la défense de l’intérêt collectif de la profession a été reconnu par la jurisprudence dès 1913 et consacré par la loi 12 mars 1920. La formulation législative est restée quasiment inchangée.
Le code du travail, prévoit en son article L. 2132-3 que les syndicats professionnels ont le droit d’agir en justice. Ils peuvent, devant toutes les juridictions, exercer tous les droits réservés à la partie civile concernant les faits portant un préjudice direct ou indirect à l’intérêt collectif de la profession qu’ils représentent.
Les contours de la notion de l’intérêt collectif de la profession sont, depuis plus d’un siècle, affinés par la jurisprudence.
L’intérêt collectif est caractérisé lorsque se pose une question de principe ou de portée générale intéressant l’ensemble de la collectivité professionnelle.
Réserves à l’action en justice…
Deux limites subsistent à l’action en justice du syndicat :
- l’intérêt individuel du salarié, sous l’adage « Nul ne plaide par procureur », Le salarié est seul habilité à défendre ses droits.
- l’intérêt général dont seul l’État en est gardien.
L’intérêt collectif de la profession en ce qu’il porte préjudice au syndicat et à ses buts, se distingue ainsi de l’intérêt individuel du salarié et l’intérêt général.
Pour autant, certains actes sont tels qu’ils portent atteinte à la fois un intérêt individuel du salarié et l’intérêt collectif de la profession représentée par le syndicat.
Ceci est le cas de l’affaire en date du 10 juillet 2024.
° CONTEXTE DE LA SAISINE
En l’espèce, un salarié, embauché en décembre 2001 est désigné successivement représentant syndical au CHSCT, en juillet 2013, puis représentant syndical au comité d’entreprise en janvier 2014.
S’estimant victime de harcèlement moral, il saisit la juridiction prud’homale.
À l’appui de ses demandes, il évoque notamment :
- l’aggravation de sa mise à l’écart à compter de sa désignation en qualité de membre du CHSCT, en avril 2014,
- son exclusion de la distribution des plannings de travaux, le courrier d’alerte du syndicat adressé à l’employeur pour stigmatiser la « placardisation » dont il a fait l’objet depuis juin 2014.
- Mais encore, les conclusions du rapport d’enquête établi à la demande du CHSCT, en octobre 2018, stigmatisant le retrait des tâches à des salariés ou la mise à l’écart de représentants du personnel.
Son syndicat d’appartenance intervient volontairement à l’instance.
Dans ses conclusions, le syndicat faisait valoir que le salarié “a été victime de faits de harcèlement moral notamment à raison de ses mandats de représentants du personnel”.
Il indiquait également que ces agissements répétés ont eu “pour conséquences une grande souffrance au travail, ainsi que la dégradation des conditions de travail et une altération grave de l’état de santé physique et mentale du salarié« .
Le syndicat indique enfin qu’il considère que cette « situation est imputable aux conditions et à l’organisation du travail au sein de l’établissement ».
Les juges du fond reconnaissent l’existence du harcèlement et condamnent l’employeur a versé non seulement au salarié mais aussi au syndicat des dommages et intérêts du fait du préjudice subi par l’atteinte à l’intérêt collectif de la profession.
Un pourvoi est formé par l’employeur. Selon lui, « l’action en justice des syndicats professionnels est limitée aux faits portant préjudice direct ou indirect à l’intérêt collectif de la profession qu’ils représentent. Le constat d’une situation de harcèlement moral au préjudice d’un salarié ne porte pas atteinte à l’intérêt collectif de la profession ».
Le préjudice subi par un élu harcelé constitue-t-il une atteinte à l’intérêt collectif de la profession du syndicat qu’il représente ?
° L’ANALYSE DE LA COUR DE CASSATION
La Cour de cassation rejette le pourvoi.
La Haute juridiction décide qu’un harcèlement moral d’un élu/représentant syndical, en lien avec l’exercice des fonctions syndicales ou représentatives rend le syndicat recevable à agir en réparation du préjudice porté à l’intérêt collectif de la profession.
En l’espèce, l’action du syndicat est légitime car les faits allégués par le salarié au soutien de sa demande au titre d’un harcèlement moral étaient en lien avec son mandat.
° ECLAIRAGES
La solution est inédite : une situation alléguée de harcèlement moral d’un élu porte atteinte à l’intérêt collectif de la profession et légitime son action.
D’autres atteintes individuelles ont légitimé l’action en justice du syndicat comme notamment :
- les violations du statut collectif constituent, en effet, nécessairement une atteinte à « l’intérêt collectif » de la profession, dont tout syndicat a vocation à réclamer le respect en justice, qu’il soit ou non signataire.
Comme l’indique l’avis de l’avocat général dans l’arrêt commenté, l’atteinte à l’intérêt collectif de la profession est reconnue lorsque sont en jeu, le droit au respect des dispositions des accords et conventions collectives, le droit syndical et le droit de la représentation.
- les atteintes aux règles en cause “d’ordre public social”, comme celles sur le repos dominical ou encore les règles en matière de durée maximale du travail… Les atteintes à la santé et à la sécurité des salariés peuvent également atteinte à l’intérêt collectif de la profession.
- Le non-respect des règles de recours au travail temporaire et aux contrats à durée déterminée porte également atteinte aux intérêts collectifs de la profession.
° DROITS EN ACTIONS…
Nul doute que la notion d’intérêt collectif de la profession défendu par le syndicat ne cessera de s’étoffer compte tenu de la multiplication des jurisprudences en la matière.
S’additionnant à l’action individuelle du salarié, l’action en justice du syndicat constituera une garantie malheureusement nécessaire à la protection des droits du salarié et, espérons-le, une mesure de précaution, de prévention contre le harcèlement et une mise en garde des managers et des employeurs, face aux dérives de comportements, les discriminations ou les « violences », directes ou indirectes, à l’égard des élus.
Le syndicat peut ainsi rappeler aux employeurs, au soutien de leurs représentants, cette faculté d’agir, l’utiliser comme une dissuasion, un avertissement de ne pas s’en prendre aux élus et qu’ils ne sauraient à l’avenir négliger.
Sophie RIOLLET, juriste, Pôle Service Juridique du Secteur Juridique National de l’UNSA.
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